Il était une fois une bête préhistorique qui avait une grande tête, une grande gueule, une grande queue et quatre pattes. Elle habitait du côté de LOUPE et elle se nourrissait de chair de jeunes filles.
Manquant de filles à manger dans le pays, elle s'en alla du côté de LIMOGES. Quand elle arriva, les échevins de la ville fermèrent la porte et elle ne put entrer. Elle revint donc dans le pays.
Les gens se révoltèrent contre elle, et les anciens tinrent un conseil ; ils promirent au monstre une jeune fille à manger tous les trois mois.
Une fois, le sort tomba sur une jeune fille de Joncherolles. Elle était fiancée à un comte de Saint-Quentin. Ce comte était à MORTEMART, qui s'entraînait à l'équitation et au maniement des armes.
Quand il apprit que sa fiancée avait été tirée au sort pour être mangée par la Mandragore, il quitta MORTEMART pour se retirer chez lui. Pendant trois jours, il pria, et le dimanche matin à l'aube, il partit, sur sa mule blanche, attaquer la Mandragore.
Il la trouva à FROCHET. Il la blessa en la piquant avec sa lance. La bête blessée s'en alla au château de Joncherolles pour s'emparer de la jeune fille.
Il la suivit à distance, puis il la retrouva dans le champ de la mort ; là, il la blessa à mort. Alors la bête agonisante alla se jeter dans un étang dont l'eau devint toute rouge. C'était l'étang de "l'eau péride" et elle s'est noyée dedans. Pour la retirer, il fallut douze paires de bœufs.
Ils allèrent l'enterrer sous le tumulus du Dognon à LESTERPS, et sur la porte, ils mirent une étiquette sur laquelle était écrit :
"Quiconque trouvera le trésor de la Mandragore deviendra fou"
Et personne ne trouva le trésor de la Mandragore.
Annexe A:
in : Jeanne de SAZILLY, LEGENDES LIMOUSINES - Laffitte Reprints, MARSEILLE, 1979, Tome 1, pp. 202 - 207
L'histoire de la Mandragore, occie aux rochers de Frochet par le chevalier Guyot de Saint-Quentin, est le récit terrible qui, plus d'une fois, fit frissonner nos grand-mères et que les jeunes filles, à la veillée, dans les environs de CONFOLENS, MORTEMART, NOUIC, MEZIERES-SUR-ISSOIRE et autres, écoutent avec effroi.
...Demandez aux vieux pâtres ce qu'était la Mandragore. Tous en ont gardé le souvenir. C'était un serpent de 50 pieds de longueur, à la face presque humaine, aux ailes sonores et armé de griffes tranchantes et de dents à l'avenant ; ses yeux brillaient dans la caverne comme les charbons ardents dans la forge ; sa queue, aux écailles brillantes, se terminait par un dard acéré.
La Mandragore se distinguait, entre ses congénères, par la délicatesse de ses appétits. Loin de se ruer sur les troupeaux, de dévorer les boeufs et les coursiers, la maligne bête n'était friande que de jeunes filles. Parcourant les hameaux et les campagnes, ele épargnait les hommes et les vieillards, se ruant sur les jeunes vierges, les plus belles et les plus fraîches. Sa sagacité, sur ce point, ne la trompait jamais et plus d'un fiancé, la veille de ses noces, pleura le tendre objet de ses amours. Les jouvencelles désertaient les campagnes et bientôt le monstre porta ses ravages au sein même des grandes cités. Chaque jour, LIMOGES voyait disparaître ses jeunes filles les plus belles, nulle n'osait franchir les remparts.
Enfin, pour se soustraire à tant de maux, les consuls de LIMOGES décidèrent de s'entendre avec le monstre, en lui offrant une jeune fille par mois, il accepta. Chaque mois la caverne envoyait aux échos de la montagne les cris, les soupirs de la victime ; nul espoir de secours, un morne effroi régnait dans la contrée.
LIMOGES enfin murmura contre ses magistrats, la cité révoltée jura de se soustraire à ce terrible tribut. Un mois la Mandragore attendit sa victime, un mois de plus et elle ne vit plus sur les rochers de Frochet une vierge frémissante, livrée à ses cruels appétits, un mois et plus, sans sortir de son antre, le monstre emplit la montagne de ses rugissements.
Enfin, n'y tenant plus, la Mandragore s'élança avec d'affreux sifflements. Ce ne sont plus des jeunes filles que réclame sa fureur, les villes, les hameaux croulent sous les coups, hommes, femmes, troupeaux nagent dans des flots de sang. La ville de LUPE assise au pied de la montagne tombe en amas de ruines, pour ne plus se relever. Les châteaux de Bords, de la Tourette sont renversés. La désolation et l'incendie marquent sa course dévorante...
Depuis trois lunes, la Mandragore ravage le pays et nul n'ose s'opposer à ses cruelles excursions. Les chevaliers de la contrée avaient suivi le roi à la croisade. Les seigneurs de MORTEMART, du Fraise, les sires de BARTHON, de MEZIERES et de SAINT-CHRISTOPHE combattaient les infidèles d'outremer. Les monastères avaient fermé leurs portes et les villageois tremblaient dans leurs frêles cabanes. Réunis en conseil, les anciens de la région cherchèrent un moyen de conjurer l'orage... il en est un seul... rétablir l'ancien tribut... On hésite, on tâtonne, enfin le désastre est tel qu'on s'y résout.
Déjà dans l'urne fatale, sont jetés les noms des plus belles jouvencelles, le sort va désigner la victime... Un cri d'effroi s'échappe de toutes les poitrines...
Alix de Joncherolles est choisie par le destin... C'était la perle du pays, sa beauté, sa bonté étaient connues de tous. Dès que fut connue la nouvelle, les malheureux de la région pleuraient, priaient, imploraient le ciel d'épargner leur chère demoiselle...
Trop jeune au départ des croisés, Guyot de Saint-Quentin apprenait au manoir de MORTEMART le métier des armes. Maniant un coursier, il s'exerçait à tenir sa lance. Dans ses pérégrinations journalières il passait souvent près du manoir de Joncherolles. Souvent à l'ombre de vieux chênes, une jeune fille, de blanc vêtue, le saluait d'un geste grâcieux, ils se remarquèrent, ils s'aimèrent...
La nouvelle fatale a volé comme un trait. Dans trois jours, Alix deviendra la proie du monstre. Guyot n'hésite plus. Il quitte le manoir féodal et court au castel de Saint-Quentin demander les armes et la bénédiction paternelle. Deux jours entiers son vieux père a conjuré son fils de renoncer à combattre. Le matin du troisième jour Guyot, sur sa bonne mule, gravissait les rochers de Frochet. Il arrivait sans effroi car s'il ne pouvait vaincre, il allait du moins mourir pour Alix de Joncherolles.
Nous ne dépeindrons pas le terrible combat, les rugissements du monstre, la terre tremblait sous ses pieds, les échos de la montagne répétaient ses horribles sifflements. Deux fois Guyot s'est élancé sur la Mandragore, deux fois à demi précipité du haut des rochers, sa vigueur et son courage seuls l'ont soutenu sur les bords de l'abîme. Rassemblant toutes ses forces, le damoiseau s'est de nouveau élancé sur le dragon, sa lance a rompu les fortes écailles et le sang a coulé, mais frappée par les replis de la bête cruelle, la mule fidèle, la bonne mule chancelle et s'abat. Terrible fut le choc et sur la pierre informe, vos yeux trouveront encore l'empreinte de son sabot, le pas de la mule est à jamais gravé dans le dur rocher et on raconte que dans cette empreinte, quelle que soit la sècheresse, vous trouverez toujours de l'eau. Mais ô puissance de l'amour ! Guyot relève sa monture, il brandit sa forte lance et frappée, la Mandragore fuit.
Elle rougit la terre de son sang, haletante, éperdue, inondant les rocs et les vallées, elle fuit d'un pas rapide vers la campagne, elle fuit mais c'est vers le manoir de Joncherolles qu'elle dirige sa course. Tremblant pour celle qu'il aime, Guyot la poursuit, sa mule semble avoir des ailes, il rejoint le monstre, le frappe à coups redoublés, le sang gicle de toutes parts, ce champ en a gardé le nom de "champ du sang". Enfin blessée à mort, expirante, la Mandragore plonge dans l'étang de l'Eau-Péride, bientôt, sur l'eau qu'elle a teint de son sang, flotte sa dépouille inanimée.
De toutes parts s'élèvent des cris de joie les plus vifs, et des rives de l'Issoire, de la Marchadène, retentissent enfin des chants d'allégresse. Porté en triomphe par les habitants de la contrée, heureux libérateur du pays, Guyot de Saint-Quentin dépose aux pieds d'Alix sa lance victorieuse. Honoré de tous, heureux époux de la charmante Alix, il coula des jours sereins, fortunés.
Vainqueur généreux, Guyot voulut donner à la Mandragore une honorable sépulture dans un beau tumulus romain qui domine la région ; trente boeufs, avec peine, l'arrachant de l'Eau-Péride, traînèrent sa gigantesque dépouille. Là reposent ses ossements et ses trésors, mais ne cherchez pas à fouiller sa tombe, vous trouverez l'herbe qui égare et la porte de ferr que nul n'a pu et ne pourra ouvrir.
Guy de VILLUME
ANNEXE B : Dans le Républicain Confolentais - n°6 - 11 février 1934
Cette légende est contée avec des détails différents, selon les conteurs, mais le fond reste toujours le même. Je ne m'étendrai donc pas dans les détails qui peuvent être contestés.
En ce temps là, il y avait, dans les fôrets du Limousin, un monstre de l'ordre des Hidrosouriens, qui dévorait les enfants et les jeunes filles qui allaient seules dans la campagne. C'était un animal à forme antédiluvienne, dans le genre de la fameuse "tarasque", qui répandait la terreur dans la Camargue ; personne ne l'avait d'ailleurs jamais vu, mais le fait patent, c'est qu'un grand nombre d'enfants et de jeunes filles les plus séduisantes disparaissait chaque année.
A cette même époque, vivait au Manoir de Joncherolles, une fort belle jeune fille, Alix de Joncherolles. Guyot de Saint-Quentin, grand chasseur qui habitait le Manoir de Mortemart, rencontra un jour la belle Alix. Séduit immédiatement par tant de charmes, il lui fit une cour assidue ; mais Alix ne répondait point à ses avances. Le pauvre amoureux ne connut plus un instant de repos ; il rôdait nuit et jour sur les terres de Joncherolles dans l'espoir d'y rencontrer celle à qui il avait donné son coeur. Un soir il la trouva, enfin, assise auprès d'une fontaine, absorbée dans sa méditation.
Le beau Guyot se prosterna à ses pieds et lui avoua son grand amour. Surprise, la jeune fille allait fuir, mais, touchée par l'attitude humble de ce charmant chevalier, peut-être impressionnée aussi par tant d'amour, elle lui dit : "Noble chevalier, je suis vraiment touchée de la profondeur et de la persévérance de vos sentiments ; je les crois sincères, mais je ne puis me marier, car je ne trouverai nulle part le bonheur tant que la "Mandragore" exercera ses ravages dans notre pays."
Guyot promit qu'avant quinze jours, la Mandragore aurait cessé ses maléfices ou qu'il ne compterait parmi les vivants ; il baisa respectueusement le bas de la robe de cette charitable jeune fille, remonta sur la mule et se dirigea vers la fôret. Un éclair de joie avait illuminé le candide visage d'Alix, et ses yeux nostalgiques, où se réflétait maintenant une lueur d'espoir, suivirent le beau chevalier jusqu'au détour du chemin.
Guyot de Saint-Quentin marcha plusieurs jours et plusieurs nuits ; il battit tous les fourrés de l'immense fôret sans trève ni repos, quand tout à coup, au matin du 7ème jour, il se trouva face à face avec le monstre qui s'était attardé au rocher de Frochet. La bataille s'engagea aussitôt et après un combat homérique où Guyot faillit plusieurs fois être dévoré, la Mandragore fut terrassée et égorgée.
Durant le combat, la mule donna un coup de pied tellement fort, que son sabot s'imprima dans le roc. Vous pouvez voir encore, au Pas-de-la-Mule, la forme de la Mandragore dessinée nettement sur un énorme banc de quartz blanc ; vous verrez aussi la trace du sabot de la mule de Guyot, profondément gravée dans le roc et que vous trouverez toujours pleine d'eau, même pendant les grandes sècheresses.
Guyot trouva la récompense de sa bravoure dans l'amour de la belle Allix ; leur union fut bénie du ciel et ils eurent de nombreux enfants.
A.D.
Annexe C : CANTON DE MEZIERES-SUR-ISSOIRE
A. GOURSAUD dans Pierres et légendes et pierres curieuses du Limousin, S.E.L.M., Limoges 1969, pp 38-39
Au Sud-Est de BUSSIERE-BOFFY et à 2 km à vol d'oiseau du bourg, le plateau de Frochet surplombe la grande plaine Confolentaise. C'est là, dans le cadre d'une région sauvage, parsemée de blocs ératiques, que la traditions place une des plus curieuses et jolies légendes de notre province. Le Comte Gui de Villelume a publié jadis, sous une forme un peu romancée, dans le Dolmen Club de Bellac (année 1918, N°1) cette terrifiante "Chronique de la Mandragore" que l'on contait à la veillée dans les paroisses avoisinantes.
Nous sommes au début du Moyen-âge. Un monstre que la tradition désigne sous le nom de Mandragore sème la terreur dans le pays. Les récits des pâtres, recueillis par le narrateur nous le représentent sous la forme "d'un serpent de 50 pieds à la face presque humaine, aux ailes sonores, aux griffes puissantes. Son corps recouvert d'écailles luisantes se termine par une queue acérée comme un dard."
Chaque mois, une jeune fille que le sort désigne est livrée au monstre qui la dévore après l'avoir mise en pièces. L'épouvante tient les paysans terrés au fond de leur cabane, car personne n'ose affronter l'animal redoutable. Les preux chevaliers sont, en effet, partis à la Croisade et il ne reste dans les châteaux que les vieillards et les adolescents.
Alix de Joncherolles, fiancée du chevalier Guyot de Saint-Quentin, est désignée à son tour par le sort. Le jeune homme jure alors de tuer la Mandragore ou de périr dans la lutte. Il part sur sa mule et se rend à Frochet. Après un combat dramatique où il a failli vingt fois trouver la mort (sa mule a été abattue sous lui), il réussit enfin à porter le coup fatal.
Presque chaque pierre de Frochet; presque chaque anfractuosité du granit porte ainsi les traces du passage de la Mandragore. On retrouve même les empreintes de ses griffes à Cieux, distant de 4 lieues. Mais à Frochet même, on peut voir :
- L'antre où le monstre se réfugiait ;
- Un gros bloc de pierre creusé en son milieu et appelé dans la région "le Berceau". C'est sur ce rocher que la Mandragore aimait à se coucher au soleil ;
- Un rocher présentant une cavité et dit "Pas de la Mule". Eté comme hiver, cette cavité est toujours pleine d'eau. Il s'agit de l'empreinte laissée par la mule du chevalier au cour du combat ;
- Un champ parsemé de rochers qui furent ainsi dispersés par la bête pendant les convulsions de l'agonie.
Certaines nuits, lorsque l'on traverse la Lande de Frochet, on entend des bruits étranges, pareils à des gémissements. Ce sont les voix des vierges dévorées par le monstre. Mais il vaud mieux ne pas passer par là, car les entendre porte malheur.